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Dermot MORAN

By 5 octobre 2023mars 18th, 2024Professeur·es invité·es 2024

Février-mars 2024

Les concepts fondamentaux de la phénoménologie

Semaine une | Intentionnalité : thème principal de la phénoménologie
6 & 8 février 2024, 10h30-12h30, salle Pasteur (Pavillon Pasteur, ENS, 45 rue d’Ulm)

Dans nos deux premiers séminaires nous étudierons l’intentionnalité comme thème principal de la phénoménologie. L’intentionnalité (Intentionalität, Meinung, Gerichtetsein), la « direction », ou le « sujet », est au cœur de la tradition phénoménologique. L’intentionnalité a été réintroduite dans la philosophie moderne par Franz Brentano en 1874 (Brentano 1995), qui s’est lui-même inspiré de la pensée médiévale. Dans son effort pour définir le domaine de la science psychologique, Brentano a proposé que l’intentionnalité soit la caractéristique déterminante de tous et seulement des phénomènes mentaux. Edmund Husserl a élargi cette idée pour faire de l’intentionnalité le caractère porteur de sens de toutes les expériences vécues. Husserl appelle l’intentionnalité le « thème principal » (Hauptthema) de la phénoménologie (Idées I). La phénoménologie ne traite pas l’intentionnalité de manière étroite comme une relation entre un acte mental et son objet, et surtout pas comme une sorte de représentation du monde extérieur dans l’esprit intérieur, mais comme exprimant les manières fondamentales dont les sujets incarnés, interagissant avec d’autres sujets, appréhendent le monde, comme sensés et réagir activement en générant de nouveaux engagements sensés. L’intentionnalité est une affirmation sur le sens de l’expérience basée sur l’interrelation irréductible entre la conscience incarnée et le monde de signification environnant. L’intentionnalité a du sens (Sinn). Husserl faisait la distinction entre le « sens » (Sinn) (par exemple les perceptions non linguistiques) et le « sens » (Bedeutung), qui nécessite une expression linguistique. Les perceptions, les sentiments, les humeurs et les émotions ont déjà un « sens » avant d’être articulés. Husserl parle de Sinngebung, de « donner du sens », ou de « don de sens », ou « d’explication de sens » (Sinnauslegung), puisque, dans de nombreux cas, y compris le cas primaire de la perception, l’objet constitué apparaît ou se manifeste simplement dans d’une manière significative pour un sujet percevant apparemment passif. Les phénoménologues rejettent généralement les explications immanentes, représentationnalistes (« dans la tête »), causales et naturalistes de l’intentionnalité et abordent plutôt les actes et les états conscients comme conférant un « sens » (Sinn), un « sens » ou une « signification » (Bedeutung, Meinung), constitué en partie par un « comportement » incarné (Verhalten) et une « interaction » intersubjective (Ineinandersein), habitant un monde pré-donné déjà chargé de signification. La vision husserlienne de l’intentionnalité (en tant que transcendance) est encore radicalisée par Heidegger qui met l’accent sur le comportement pratique du Dasein dans le monde et éclaire également l’analyse de Merleau-Ponty sur l’intentionnalité incarnée, habituelle et pratique. Dans ces deux premiers séminaires, nous lirons les textes classiques de Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty en relation avec les discussions contemporaines de Searle, Dennett, Dreyfus et McDowell.

Semaine deux | La perception et l’incarnation
séminaire 13 & 15 février 2024, 10h30-12h30, salle Pasteur (Pavillon Pasteur, ENS, 45 rue d’Ulm)

Dans les deux séminaires de cette semaine, nous étudierons en profondeur les conceptions de Husserl et de Merleau-Ponty sur la perception en relation avec les discussions contemporaines. La phénoménologie cherche à décrire de manière fondamentale les composantes spécifiques de la « vie de conscience ». Husserl parle de « l’ABC de la conscience ». En particulier, il a décrit la perception, la mémoire, l’imagination (Phantasie), la conscience de l’image (Bildbewusstsein) et la conscience des signes ainsi que la structure intentionnelle des sentiments et de la vie affective en général. Husserl s’est principalement concentré sur la perception en tant que point d’ancrage au monde et son récit a profondément influencé la phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty. Husserl rejette toute explication représentative de la perception. La perception est immédiate, directe et nous donne l’objet « d’un seul coup ». La perception donne l’objet « lui-même » (selbst), « là » (da), « dans chair et os », « corporellement » (leibhaftig), in proprie persona. Les objets se manifestent comme présents, ici et maintenant. La perception nous donne également notre sens du présent temporel. La perception est donnée avec une certitude immédiate (Urdoxa). La perception nous ancre et nous donne une foi profonde dans le monde (Urglaube). Pourtant, la perception extérieure est toujours une perspective, partielle, donnée sous forme d’« esquisses » (Abschattungen) ; elle est essentiellement incomplète. Il existe un « excès » (Überschuss) qui est une caractéristique structurelle permanente de la perception externe. La perception de son essence promet toujours plus qu’elle ne fournit réellement : La perception externe est une prétention constante à accomplir quelque chose que, de par sa nature même, elle n’est pas en mesure d’accomplir. Il recèle donc, pour ainsi dire, une contradiction essentielle. C’est la transcendance impliquée dans la perception.

Semaine trois | Pause scolaire de l’ENS.

Semaine quatre | La phénoménologique de l’empathie | Vidéo
27 & 29 février 2024, 10h30-12h30, salle Pasteur (Pavillon Pasteur, ENS, 45 rue d’Ulm)

Les séminaires de cette semaine examineront le récit phénoménologique de l’empathie (Einfühlung) ou de « l’expérience de l’autre » (Fremderfahrung) ainsi que la nature de « l’attitude personnaliste ». L’allemand Sich einfühlen est un verbe réfléchi qui signifie littéralement « se frayer un chemin ». L’empathie ou « intropathie » désigne l’expérience personnelle de la subjectivité d’autrui, c’est-à-dire le phénomène consistant à ressentir (ou à penser) son chemin vers la vie expérientielle à la première personne d’une autre personne. L’empathie, telle qu’elle est utilisée en phénoménologie, ne fait pas seulement référence à l’engagement émotionnel avec autrui mais à tous les états cognitifs et expérientiels de l’autre sujet (par exemple lorsque je comprends ce que dit quelqu’un). Husserl fait la distinction entre mon expérience originale, à la première personne, de mon propre corps, la « sphère de la propriété », et l’expérience de l’autre, ce qui n’est pas moi. Il y a la problématique phénoménologique de la constitution de « l’altérité » et surtout des autres personnes. Pour Husserl, l’empathie n’est pas une sorte d’inférence (Schluss), qu’elle soit effectuée délibérément et de manière calculée, ou même inconsciemment. Nous ne faisons pas d’abord l’expérience du corps de l’autre pour ensuite en déduire un état. Nous faisons plutôt l’expérience directe de l’état de l’autre : nous voyons un visage en colère. L’empathie est essentiellement liée à la compréhension des autres en tant que personnes, en tant qu’êtres dotés de conscience, d’intentionnalité et d’action. Husserl donne la primauté à ce qu’il appelle « l’attitude personnaliste ».

Semaine cinq | Socialité et le monde de la vie
5 mars 2024 & 7 2024, 10h30-12h30, salle Pasteur (Pavillon Pasteur, ENS, 45 rue d’Ulm)

Dans ces deux derniers séminaires, je souhaite explorer, en profondeur, la conception husserlienne de « l’esprit » (Geist) en relation avec sa conception globale de la vie consciente humaine et son intégration dans les « socialités » (Sozialitäten), les « formes culturelles » (Kulturgebilde), les « formations spirituelles » (Geistesgestaltungen) et la « culture » (Kultur) en général. Les concepts de « culture » ou d’« esprit » ne nous viennent pas facilement à l’esprit lorsque l’on pense à la phénoménologie de Husserl – qui, pour beaucoup, basée sur les Méditations cartésiennes, était considérée comme une exploration de la subjectivité égologique isolée, une exploration de la vie de conscience individuelle, de la vie du moi (Ichleben), une « égologie », selon les propres mots de Husserl. Mais lui aussi, dans ses années de maturité, considérait l’individu comme faisant partie d’un ensemble plus vaste de « liens de vie » (Lebenszusammenhang) et sa rencontre avec Wilhelm Dilthey et les néo-kantiens du Sud-Ouest (Rickert, Windelband) l’a amené à penser plus sérieusement sur la socialité, la vie communautaire, l’historicité et la tradition. Enfin, Husserl relie le concept d’« esprit » au concept de « personne » et défend la primauté de « l’attitude personnaliste » (die personalistische Einstellung) dans nos relations avec d’autres sujets personnels dans un monde interpersonnel et communautaire. La phénoménologie de Husserl, dans ses années de maturité, se concentre donc sur la « constitution » de la culture, ce qui implique pour lui la constitution du « nous » pluriel.

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