Anatole DIVOUX
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Anatole Divoux est actuellement doctorant contractuel à l’École normale supérieure de Paris. Après un diplôme de premier cycle de l’École du Louvre et des études d’anthropologie à l’université Toulouse – Jean Jaurès, il a suivi une formation de master à l’École des hautes études en sciences sociales, où il a mené une recherche à la croisée de l’histoire de l’art et de l’ethnographie, interrogeant la manière dont un jeu vidéo (FEZ, 2012) a pu se constituer en une « expérience » marquante voire initiatique pour une communauté de fans. Ses recherches actuelles poursuivent l’exploration de ce croisement disciplinaire, prenant pour objet des pratiques artistiques contemporaines ou bien, dans le cadre de sa thèse de doctorat dirigée par Isabelle Kalinowski, la notion d’« arts industriels » dans les arts et les sciences humaines au XIXe siècle.
Projet EUR :
Omniprésente au XIXe siècle, la notion d’« arts industriels » recouvre un ensemble de pratiques artistiques à géométrie variable, comprenant tout ce qui échappe d’une manière ou d’une autre aux beaux-arts, des silex préhistoriques au métier Jacquard, en passant par les arts « décoratifs », les arts extra-européens, l’art mobilier médiéval et renaissant, etc. Mais à travers ce flottement classificatoire se lit en filigrane un déplacement, une remise en cause du système des cinq beaux-arts établi au XVIIIe siècle et de la hiérarchie des arts majeurs et mineurs : parler d’« arts industriels » revient à situer les arts dans le champ large de la production des biens — artisanale, manufacturière, industrielle… —, en un geste qui a trouvé sa plus brillante manifestation lors de la première Exposition universelle en 1851. L’expression, aujourd’hui désuète, est donc l’indice d’une approche des arts, sinon d’un paradigme, qui articule une triple problématique : d’abord une enquête technologique (au sens de la « science des techniques ») sur les arts et les techniques et sur leurs possibles progrès à l’époque de l’industrialisation et des expositions universelles ; ensuite, un projet de connaissance anthropologique de portée universelle, lié à l’expansion coloniale, qui compare les moyens par lesquels les sociétés proches et lointaines, passées et présentes, répondent à leurs besoins fondamentaux (abri, habillement…) en termes de techniques, de séries, d’industrie, et qui doit fournir à la production occidentale des modèles formels et techniques ; enfin, une interrogation politique et parfois révolutionnaire sur le rôle et l’« utilité » des arts dans la cité et sur le statut qui y est accordé aux artistes, aux artisans et aux producteurs en général. À travers l’examen des archives et des publications de plusieurs figures savantes (Alexandre Brongniart, Gottfried Semper, Gabriel de Mortillet…) et institutions muséales (le Musée de la céramique à Sèvres, le South Kensington Museum à Londres, l’Österreichisches Museum für Kunst und Industrie de Vienne…), ce projet de recherche doctorale financé par l’EUR Translitteræ veut reconstituer et rendre à nouveau intelligible un moment encore mal connu de l’histoire des arts et des sciences humaines, qui a vu se tisser des liens riches et complexes entre artistes, ouvriers, industriels, savants, voyageurs, musées et collectionneurs, autour de la production de ce qu’on appellerait aujourd’hui des « objets d’art ». Cette configuration originale des savoirs disparaît et sombre dans l’oubli au tournant des XIXe et XXe siècles : l’abandon des styles historicistes en architecture et dans les arts décoratifs condamne toute recherche trop explicite de modèles artistiques dans le passé ou l’ailleurs, et l’avènement institutionnel et théorique des disciplines universitaires modernes impose des objectifs et des programmes qui excluent les relations directes entre la production des connaissances et celle des objets. En écho aux renouvellements contemporains des problématiques liées à la culture matérielle, ce travail vise donc à recouvrer une conception technologique de l’histoire de l’art et de l’anthropologie et à interroger de manière critique la construction scientifique, institutionnelle et politique d’un champ universel mais problématique des arts et de leurs techniques, que désigne l’expression « arts industriels ».